La mise à l'honneur du vendredi - Mr Dubois
Mr Dubois est décédé depuis des lustres. Ce qui ne m'empêche pas de le mettre à l'honneur.
Combremont-le-Petit, école primaire 1968. Eh oui, les premières personnes à qui je rends hommages seront souvant des enseignants à des degrés divers, des pilliers de résilience sans le savoir.
Je suis en troisième année primaire. La classe est à multiples niveaux: primaire, primsup et plusieurs degrés avec quelques enfants dans les classes 7 à 9 primaire et deux élèves en 8eme primaire supérieure (primsup).
Le gros de la troupe est en troisième comme moi ou en 4 eme.
3eme et 4eme sont des années à hauts enjeux. Il est possible de s'inscrire aux examens du collège (école secondaire) qui nous reçoit sur examen cantonal si le nombre de points requis à l'année précédente et au semestre en cours le permettent.
Il se trouve que j'ai les points nécéssaires pour me présenter, je ne le sais pas, j'ai 8ans et des poussières. Mr Dubois me donne une enveloppe à transmettre à la directrice de la maison d'enfants où je suis placée par l'Etat.
Quelques mois plus tard, on me demande de prendre le car postal pour aller passer cet examen, que je réussirais.
2018. Je reçois mon dossier de placement et je lis avec effarement que Mr Dubois a dû insister lourdement (2 lettre d'argumentation à l'appui) auprès de la directrice qui a répondu que mes parents ne voulaient pas signer les papiers d'inscription. Cet enseignant ne s'est pas découragé. Il a écrit au SPJ pour savoir qui pourrait signer ces fameux papiers. Ce dernier à répondu, alors que j'étais pupille de l'Etat, que seul mes parents ou un membre de ma famille proche pouvait le faire, mes parents refusant, il était peu probable que je puisse me présenter à l'examen qui avait des frais (transports, repas et inscription pour deux jours d'examens) qu'ils refusaient de payer. Après encore un autre courrier, Mr Dubois a donc sollicité ma chère Grand-maman qui a non seulement signé, mais aussi payé les frais. Je souligne ici, que nous étions peu ou prou considéré comme de la mauvaise graine par les habitants du village, menteurs, voleurs, bruyants, indisciplinés et j'en passe. Les chats ne faisant pas des chiens, les biens pensants, personne, absolument personne ne nous accordait la moindre confiance ou crédit. Il n'était pas tenu d'insister et de faire en sorte que je passe cet examen, personne ne le lui aurait reproché, il avait fait son travail en signalant que j'avais le nombre de points suffisant pour être y être inscrite et s'en laver les mains ensuite. Mais non, il a pris a coeur que je puisse aller au bout de cette opportunité.
Inutile de souligner combien le fait d'aller en secondaire a changé ma vie ! Il se trouve que j'avais juste un point de plus que le nombre requis, un seul petit point ! Si cet homme n'avait pas cherché, écrit sur son temps libre, et finalement gagné le fait que je puisse me présenter à cet examens, personne ne m'aurait donné d'autre opportunité à cette époque, pour preuve que mes frères et soeur qui avaient eux aussi les points n'ont pas été inscrits, leur maîtresse d'école n'en voyant pas la nécéssité !
Il aura fallut que j'attende 58 ans pour apprendre tout ce que je lui devais et vu mon expérience personnelle, il a aussi dû encaisser des remarques de la part de ses collègues.
Il se trouve que sur 5 élèves se présentant à l'examens de 3eme année, je suis la seule à avoir réussi. On me l'a d'ailleurs fait payer par la suite, la femme du syndic du village qui tenait l'épicerie, en a été malade de jalousie en disant fort haut pour que je l'entende que faire passer ces examens à des enfants de vauriens alors que sa fille bien sous tout rapport avait échoué, c'était donner des perles aux pourceaux. A 8 ans et demi, j'avais compris l'insulte d'être traitée comme la fille d'une laie, d'une cochonne, vu qu'un pourceau est le petit d'une laie. En classe, ce n'était que brimades de la part des autres élèves qui avaient eux, échoués. Dans une classe de 28 élèves de multiples niveaux, le maître ne voyait pas tout, et encore moins à la récréation.
Je me souviens d'une anecdote.
Pendant qu'il donnait une expérience sur les solides et les liquides, les transformations au grands de la classe dans le cadre du cours de science, nous devions faire des pages et des pages d'écriture, d'arabesques, et caligraphie à l'ancienne, vous savez, ces majuscules toutes emberlificotées. Je m'appliquais donc à faire ces lignes d'écriture en écoutant et zieutant en catimini l'expérience en cours. A un moment donné, Mr Dubois a demandé combien faisaient 5dl d'eau et/ou ou les mêmes 5dl passés au congélateur (la glace prenant plus de place que l'eau, elle débordait une peu sur les bords et faisait un léger dôme). Personne ne répondant, j'ai levé la main, et pensant que j'avais une question sur ma feuille d'écriture, il m'a donné la parole et j'ai dit 500gr dans les deux cas. Je me souviens de son sourire stupéfait ! Est-ce après cette anecdote, qu'il a regardé mes notes de plus près ? Je ne le saurais jamais.
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